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Le revenant

jeudi 12 mai 2011

Précis de victimologie appliquée (1)


Sous le prétexte bienveillant d’objectivité et d’esprit critique, une certaine pratique de la parole publique s’est installée sûrement et même confortablement dans le paysage intellectuel malien. La dynamique de la présentation et de la discussion des problèmes sur les réseaux maliens s’en trouve fortement marquée. Le dernier sujet brûlant au seuil du , l’assurance maladie obligatoire (AMO). Apparemment introduite sans être expliquée (par le gouvernement), pareillement décriée et combattue (par les syndicats et leurs adhérents), cette énième controverse nous rappelle tant d’autres des derniers temps. La double adhésion à la politique du brusque dans nos affaires publiques et notre posture, maintenant devenue première nature, de nous débattre en arrière-garde, sur la défensive. Comme disait Rilke, une posture défensive au quotidien. Pas pour dire que la défense n’est pas un élément honorable de toute équipe qui gagne. Mais, plutôt que la routinisation du réflexe de rejet et d’incrimination qui s’est emparé de nous ne montre aucune issue, sinon un trou pour échouer en cale de bateau. Sous le prétexte bienveillant d’objectivité et d’esprit critique, une certaine pratique de la parole publique s’est installée sûrement et même confortablement dans le paysage intellectuel malien. La dynamique de la présentation et de la discussion des problèmes sur les réseaux maliens s’en trouve fortement marquée. Le dernier sujet brûlant au seuil du

 agressif qui l’accompagne. Nous sommes devenus ainsi des amateurs de la communication dans le sens le plus démuni du sens. On n’informe pas ou on le fait de la façon la plus parcimonieuse, parcellaire et tendancieuse possible. On claironne à tous vents, on pontifie de la façon sur la plus pathétique possible sur la déontologie, l’éthique, le patriotisme, les valeurs traditionnelles. On moralise, oui c’est la nouvelle grande endémie des intellectuels maliens … ce moralisme pessimiste et ringard qui répète à longueur de journée, comme on dit dans un certain humour suisse-alémanique, que « les choses ne sont plus comme elles n’ont jamais été ». Ceci me rappelle une observation de W.E.B Du Bois dans « De la foi des pères », à propos de la bourgeoisie noire américaine en 1903, « ils sont cultivés mais pessimistes » (« cultured but pessimistic »). Bien curieusement, il s’agit également de la couche la plus penchée vers l’idée du progrès, au point qu’apparemment plus les choses avancent (sens littéral du progrès), plus profond se creuse le tunnel au bout de la lumière. Cent ans après, on peut transposer le même regard sur les élites maliennes en compétition, qu’elles soient des cadres d’administration ou de syndicat, les pratiques et les paroles sont interchangeables. La constante est cette suffisance que chacun affiche par rapport à son acte. D’un côté, les déclarations lénifiantes sur l’action du pouvoir bienveillant et visionnaire. Cette façon de se présenter éternellement comme le porteur de cadeau à la populace du jour. Ce paternalisme qui fait partie de notre constitution sociopolitique et le

Mais, de l’autre côté, hélas, que nous offre le mouvement syndical en alternative ? Prenons le syndicat de l’enseignement supérieur, pour rester en famille avec notre linge moisi. Il se bat pour l’amélioration des conditions de vie et de travail de ses membres – le corps enseignant du supérieur.  So far, so good. Je ne connais personne qui met en cause cette mission essentielle et légitime du syndicat universitaire. Et pourtant, l’ayant observé sur plusieurs années, j’ai l’impression qu’il s’est mis dans une impasse totale avec ses priorités et surtout sa communication qui paraît de plus en plus répétitive et chaotique. Le syndrome le plus frappant est l’abondante prise de parole par des porte-parole qui ne laissent aucune frontière entre le personnel et le collectif, l’informel et l’officiel, l’officieux et la version de presse. Il y a  trois ans, je me rappelle qu’il y avait encore des tentatives d’interjection de collègues qui croyaient que le syndicat est l’affaire de tous et qu’un échange démocratique, franc et pluriel armerait davantage son propos face à une administration récalcitrante. Ces efforts ne sont jamais allés loin, tant la force de l’habitude s’impose rapidement et on a depuis un an un monologue sans substance sur l’alignement des salaires dans la zone UEMOA ou des augmentations de pécules chiffrés. Quelle que soit la légitimité de ces revendications, elles sont devenues fatiguées, sinon aussi lassantes que le tâtonnement du gouvernement.

Devant la population, les deux protagonistes partagent le tort ou s’accapare des parts de tort comparables et parallèles : la cupidité (insouciante) des uns et la mauvaise foi (insouciante) des autres. Maintenant, chacun peut s’arc-bouter sur l’originalité de ses griefs et surtout sur l’irresponsabilité et le manque de fair-play de l’autre, et dans cette veine prendre à témoin la même population, dont deux parties particulièrement intéressées : les étudiants et leurs parents. Les uns sont souvent clochardisés la moitié de l’année, doublant ou multipliant ainsi les sacrifices budgétaires des autres, au delà du supportable... C’est ainsi que les deux parties ont perdu la sympathie et récolté l’apathie de larges franges de la population. Mais, plus à propos, il importe à ce stade de débattre, sans crispation, de l’intervention du syndicat dans l’espace public qu’offrent les forums maliens. Il faut faire un choix vital entre l’indulgence (et l’auto-indulgence) et le professionnalisme. Non, je n’aime pas le terme ; mais j’apprends à ne plus le détester. Le syndicat est pauvre et faible mais l’image qu’il donne de lui-même ne fait que le fragiliser encore davantage. En tant qu’organisme structuré, même avec de faibles moyens, il doit pouvoir s’appuyer sur l’intelligence et les ressources stratégiques de ses membres et alliés pour créer une modeste mais efficace capacité de communication : un site web simple et bien aménagé et mis à jour, des articles de presse courts mais édités et une documentation archivée. Certains représentants du syndicat constituent une importante mémoire institutionnelle qui, bien exploitée, donnera densité et épaisseur à l’action et la parole collectives. La parole aussi doit être sobre, tout au moins raisonnée : passer tout le temps à dire que l’enseignement est un « sacerdoce » n’a aucun sens et c’est un drame intellectuel qu’on n’arrive pas à « retraiter » de telles platitudes. Si l’enseignement était un « sacerdoce », les enseignants n’iraient pas en grève pour les augmentations de salaire. Au Mali quand même, l’enseignement est (devenu ?) un métier comme les autres et il est parfaitement légitime que ceux qui le pratiquent vivent de leur travail de façon convenable. Tenir un discours moraliste et grandiloquent sur l’éducation de nos jours ne passe pas non plus, dans la mesure où le secteur est en proie aux maux communs de la société contemporaine. Pas besoin de faire un chapelet de sujets connus, mais ni le paternalisme, ni l’opportunisme patrimonial, ni la corruption n’épargnent l’école, les enseignants, parents et étudiants. Il faut parler sur un autre ton, trouver la juste mesure, entre la fin et les moyens.

Nous sommes au début d’un débat sur l’assurance-maladie obligatoire. J’espère qu’on n’en est pas également à la fin. Voyons qu’on a pratiquement perdu de vue l’essence du débat ; ce qui confirme d’ailleurs mon observation assez datée maintenant sur notre société comme une « démocratie sans débat ». Dans la grande masse d’opinions rapidement accumulées sur le sujet, je trouve rarement un rejet radical de l’essence de la proposition. C’est la méthode qui rebute, il semble. Cependant, je dois dire que le syndrome de la « communication » au détriment de l’information joue pleinement ici aussi. Rares sont les pièces qui expliquent de façon compréhensive le système proposé, ses avantages et ses inconvénients. La grande majorité entonne un rejet bruyant souvent accompagné d’attaques très personnalisées. Je parle pratiquement au niveau de la sémiotique, du jeu de signes que nous offre ce débat en cours. J’ose dire qu’il reflète un malaise profond – celui de la responsabilité. Nous avons vu dans le passé que chaque fois que le même gouvernement a lancé une législation progressiste, il l’aura abandonnée ou vidée du contenu au premier cri d’indignation organisée. Nous avons dit que le précédent n’a pas vocation à être un cas isolé. Donc, en attendant de parler directement sur l’offre (AMO), je note qu’il s’agit d’un choix de société. L’Amérique l’a fait tout récemment et avec une importante frange résistante, ou encore rétive. Cette Amérique l’imposait pourtant aux fonctionnaires et aux étrangers (étudiants, par ex. même si mal couverts). La plupart d’entre nous vivent sous ce régime en Europe occidentale. Ceux qui sont en visite prennent soin de l’inclure dans leurs pièces s’ils veulent voir la couleur d’un visa Schengen ou autre.

En Suisse, l’AMO est pratiquement indisputable ici même si les assurés geignent sous le poids grandissant des primes mensuelles et le débat sur la pérennité du système surgit de temps à autre. On a du faire un référendum pour augmenter la TVA en 2010 (de 7.6 à 8%) pour augmenter les marges de certaines assurances sociales. Dire que la sécurité sociale est partout une œuvre visionnaire (quasi utopique) et une partie de bricolage. Je suis incapable de vous dire que le beau dispositif dont profitent les retraités d’aujourd’hui sera en place quand j’atteins leur âge. D’après les déclarations faites aux autorités françaises de l’immigration, 6% des personnes arrivant d’Afrique (du Maghreb au sud du Sahara) disent vouloir venir se faire soigner en France. Ces chiffres récents semblent confirmer la constance dans ce domaine. Alors, il faut se demander, qui va se faire soigner en Europe ? Pour quelles maladies ? Dans quelle mesure peut-on offrir des soins préventifs ou palliatifs de qualité en Afrique pour réduire au minimum cette nouvelle ligne de fuite ?

Il est évident que l’assurance maladie coûte cher à l’état et aux personnes assurées. Mais l’absence d’assurance coûte plus cher aux individus ; d’ailleurs, elle signifie la ruine certaine en cas d’accident ou de maladie grave pour une famille sans moyens. On peut même imaginer la part des virements des maliens de l’étranger consacrée aux urgences médicales dans les familles restées au pays. Parfois, des sommes récoltées de tontines et levées de fonds spontanées servent à faire rapatrier les corps de patients décédés après des soins infructueux à l’étranger–surtout en Afrique du Nord et en Europe. La maladie reste une hypothèque sociale et économique incommensurable dans nos pays. L’assurance maladie seule ne peut pas guérir une société avec une pauvreté monétaire si retranchée et aux inégalités fort croissantes. Il faut inscrire l’assurance maladie dans un système de sécurité sociale qui concerne tout le monde, même, disons surtout, ceux qui sont dans la campagne et le secteur dit « informel ». C’est à dire, l’écrasante majorité des citoyens, dont le labeur subventionne le train de vie du fonctionnariat urbain, celui-là même qui a la plus grande capacité de se faire entendre à coups de patte et de cris stridents contre l’injustice sociale.

Le bon sens veut qu’un projet social d’une telle portée soit discuté de façon claire et vraiment démocratique. Cependant, les conditions minimales pour un comportement collectif responsable au sein d’une société ouverte semblent plus que jamais éloignées chez nous. On a combattu avec succès le port de la ceinture et du casque pour le transport motorisé ; nos véhicules passent des visites techniques avec des pièces empruntées pour l’occasion. La continuation de ces victoires mortifères, sinon suicidaires, est ce combat d’arrière-garde contre l’assurance maladie. Oui, on garde nos jetons en poche et on prie que rien ne se passe. J’aurais cru qu’on se battrait bec et ongle pour donner du contenu et des contours plus ambitieux à un tel projet de sécurité sociale. Pour les dirigeants, l’impossibilité d’admettre qu’on ne peut pas transformer une société de façon durable sans accepter la confrontation des idées, la victoire ou la défaite au bout d’un échange franc, peut-être un référendum à haut risque comme celui qui a fait monter la TVA en Suisse. J’ai vu une partie de la presse française ironiser un résultat apparemment illogique. La majorité des citoyens acceptent de payer plus pour sauvegarder une composante de la sécurité sociale au lieu de s’en prendre à l’état. Une forme curieuse d’auto-taxation, alors que les Suisses n’aiment pas les impôts et taxes plus que les contribuables ailleurs. Ce n’est pas nécessairement un sacrifice juste au fait. L’augmentation de la TVA pénalise probablement davantage les familles à moyens et bas revenus. Mais chaque société doit chercher la formule qui traduit le contrat social et garantit une certaine solidarité sociale.

La socialisation des risques est la formule trouvée pour faire contribuer tout le monde en amont et assurer une prise en charge en cas de besoin (urgence, maladie, décès). Si les syndicalistes maliens croient qu’ils connaissent une autre voie royale, qu’ils l’exposent. Ceci étant dit, toute assurance et tout système de sécurité sociale dont elle fait partie est un choix et doit être même un choix déterminé, adopté à la fin d’une délibération ouverte et compréhensive. Ici, le référendum a été initié et suivi d’une documentation du pour et du contre, sans parler des campagnes de tous bords, des syndicats, patronats aux partis politiques. Les camps se battent et en fin de compte on s’arrange avec la décision sortie des urnes. Des résultats détestables peuvent sortir de ces consultations populaires mais la pratique en général fait plus de bien que de mal, dans la mesure où un pourcentage élevé de votants s’expriment de façon délibérée, après avoir lu et écouté les différents arguments. Dans le cas contraire, nous aurons toujours le genre de sautillements (un pas en avant, deux en arrière) auxquels nous assistons sur le plan social au Mali. Et pourtant, le Mali a une expérience citée en référence ailleurs–de l’Institut national de prévoyance sociale (INPS) pour les salariés au réseau de mutuelles qui maillent le pays. Mais, c’est là le grand paradoxe que ce pays et ses cadres ont de plus en plus de mal à s’inspirer de leurs meilleurs atouts, pour enfin embrasser l’art du possible, c’est à dire, la politique dans le sens positif et actif du terme. Je ne sais pas si on peut dissocier cette culture de l’impossibilité et de l’impuissance de l’adhésion en masse à une pratique sociopolitique qu’on est en droit d’appeler de la victimologie militante, qui a le vent en poupe – il semble.

Mohomodou Houssouba (Ecrivain malien, Bâle-Suise)

11 mai 2011

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